le Petit Nicolas payé pour aller à l'école ? (12/10/2009)

Autant je ne voulais pas prendre position concernant la loi Hadopi, optant pour une attitude "à la Michel Serre", autant le mini-débat sur la "cagnotte contre l'absentéisme" m'inspire.

Rappelons (pour ceux qui vivent sur Mars ;-) qu'il s'agit d'une expérience démarrant cette année dans 6 classes de 3 lycées professionnels de l'académie de Créteil qui vise à réduire l'absentéisme, évaluée à 11% environ en moyenne.

Le principe de cette incitation collective est très bien résumé par Psychologies.com

Son principe : une cagnotte de départ de 2 000 euros est attribuée à chaque classe. Un « contrat » est établi entre les élèves et les enseignants référents afin de fixer les différents critères – présence en cours, discipline, résultats scolaires – d’attribution d’un abondement – de 800 euros maximum – chaque mois.

[...] Le pactole sera effectivement utilisé pour financer un « projet collectif ambitieux », précise le Haut-commissariat à la Jeunesse dans la description du projet sur son site internet. « Il ne s’agit pas de financer les dépenses des élèves pour des projets personnels. En aucun cas l’argent n’est transmis directement aux élèves. », se défend d’emblée l’institution. A la différence de la Grande-Bretagne, inspiratrice de l’expérience, où l’EMA (Education maintenance allowance) est directement versée sur le compte de l’élève.

La nouvelle révélée par Le Parisien a déclenché une véritable levée de bouclier, beaucoup de voix, connues et anonymes, s'expriment contre ce projet, à peu près toutes dans le même sens :

S'ajoutent à ceux-là les commentaires de chroniqueurs ( voir/écouter Guy Carlier sur Europe 1 : La cagnotte anti-absentéisme, un engrenage infernal ) et de personnalités diverses, notamment des syndicalistes : Jean-Claude Mailly qui sur BFM Radio trouve l'initiative lamentable ou François Chérèque sur France Inter. D'abord je me pose la question : pourquoi les journalistes posent-ils la question à n'importe qui ? Qu'en a-t-on à faire de savoir ce que pensent les leaders syndicaux de cette expérimentation ? Ce n'est pas leur domaine il me semble.

Ensuite je note la réponse de François Chérèque, très différente de toutes les autres que j'ai pu entendre. A la question de Nicolas Demorand qui désirait savoir s'il était choqué par cette cagnotte, Chérèque retourne le problème et se déclare contre ... les punitions collectives ! Très bel exercice de langue de bois qui lui évite de se déclarer en faveur de l'expérience tout en évitant de mentir (quel métier!). Je suppose que l'état de l'opinion ne lui permettait pas d'approuver la mesure, ni même de ne pas se montrer en sa défaveur (donc il se montre en défaveur de quelque chose qui y ressemble ...)

En tout cas, il finit par dire qu'elle ne le choque pas moralement plus que cela. Et je lui en sais gré ! J'estime beaucoup Chérèque et sur ce coup-là suis entièrement de son avis !

Tout d'abord, notons qu'il s'agit d'une expérimentation. Pourquoi s'indigner autant et monter sur ses grands chevaux avant d'en avoir eu le résultat ? Personnellement, je suis très curieux de savoir comment elle peut aboutir et je trouve dommage que l'opinion, les gens qui s'expriment sur le sujet, tiennent plus des propos de réactionnaires, nostalgiques d'une école à la papa, ou d'idéalistes bien-pensants qui rêvent de leur monde parfait (en général ce n'est pas le mien ... ;-)

Ensuite, tous ceux qui s'insurgent contre le coût exorbitant ont-ils fait le calcul jusqu'au bout ? La cagnotte prévoit d'attribuer au maximum 10.000 euros par classe. C'est certes une coquette somme. Cela fait quelque chose comme 300 euros par élève. Un élève de lycée pro coûtant par an 10370 euros, 300 euros représentent donc un peu moins de 3% du coût global. Ce n'est pas négligeable, mais je suis d'avis que cet investissement est très largement "rentabilisé" dans le cas où il correspond bien à une plus forte implication des élèves. De chaque élève en particulier, et du groupe dans son ensemble. On pourrait discuter des heures sur la motivation "normale" d'un élève. Si la motivation lui tombe du ciel, tant mieux ! Mais dans le cas contraire, tous les moyens sont bons ! Si Untel a finalement fait l'effort de venir, d'écouter et de comprendre, peu importe sa "motivation profonde".

Par ailleurs, il ne suffit pas de dire que c'est le travail des enseignants de motiver leurs élèves. C'est effectivement une part de leur rôle, mais ils ont beaucoup d'autres responsabilités. Quant aux parents, je veux bien qu'ils aient une grande part de responsabilité, mais une fois qu'ils ont démissionnés (pour X raisons), que faire ? En attendant de trouver mieux, soyons pragmatiques, une carotte distribuée collectivement sous la forme d'aide à la réalisation de projet, c'est une bonne idée : simple à concrétiser, efficiente, simple à comprendre.

Ceux qui s'offusquent parce qu'il s'agit d'argent n'ont rien compris au film : la monnaie est un outil, qui permet entre autre de faciliter les échanges. Dans le cadre de l'expérience, l'argent concrétise immédiatement les enjeux aux yeux des concernés (et nous sommes tous concernés par l'éducation et la formation de nos amis, enfants, futurs collègues) , au lieu de laisser miroiter une promesse floue, peu crédible.

Vous voulez convaincre votre ami(e), votre neveu, votre petit-fils de travailler à l'école. Choisissez la formule la plus convaincante :

A : si tu travailles bien à l'école, ta vie future sera meilleure.

B : si, de façon solidaire, toute la classe respecte l'engagement ( de présence, de discipline, ... ), vous toucherez 10.000 € dès juin pour financer votre permis (ou autre)

C : si tu travailles mal à l'école / sèches les cours, un jour tu t'en repentiras

(sans vouloir vous influencer, n'oubliez pas qu'avec B aussi votre futur sera plus souriant ... ;-)

Si le résultat est conforme aux découvertes récentes en psychologie comportementale, il y a toutes les chances que cette initiative soit couronnée de succès : en effet, les recherches montrent que nous sommes (-tous-) enclins à privilégier les petits bénéfices à court-terme plutôt que les gros gains sur le long-terme, or l'avantage pécuniaire est l'un des plus facile à appréhender : en bref, sécher un cours s'avère irrésistible, même si l'on sait qu'on aura à en pâtir à l'avenir. Notre balance interne penche d'autant plus rapidement que l'avenir est lointain et la gratification immédiate ...

(plus d'info : ici en anglais )

Olivier

PS. A propos du Petit Nicolas, si vous l'avez lu, n'allez PAS voir le film.

Si vous ne l'avez pas lu, lisez-le !

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